Luc Ferry sur l’expo d’art contemporain à Versailles : « Une pure merde pour cons prétentieux, voilà la vérité que personne n’osera dire !

Guillaume Cerutti est l’ancien Directeur Général du Centre Pompidou. Il est aujourd’hui Président Directeur Général de Sotheby’s France.

Soulages et l’art contemporain : de l’humour au pompeux

François Hollande à l'inauguration du musée Soulages, le 30 mai 2014.

FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour Luc Ferry, l’apparition de l’art contemporain, au XXème siècle, s’est accompagnée d’une profonde dénaturation de l’art en général, la création et l’innovation ont laissé place au business et au snobisme.


Luc Ferry est philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale.


Soulages est-il vraiment le maître du noir? Et pourquoi pas du bleu, du vert ou du rouge? Après tout, le bleu, n’est-ce pas l’eau dont Thalès disait déjà que tout provient? Et le vert, la nature, la Phusis mère de toutes choses? Quant au rouge qui coule dans nos veines, n’est-ce pas la vie même?

Rien qu’à y penser, je sens venir un discours esthético-métaphysique tout à fait présentable pour accompagner des créations déclinées dans toutes les nuances possibles et imaginables: en mat ou en scintillant, en strillures ou en couches étales, en bandes horizontales ou verticales, en croix, en cercle, en losange, à plat ou en relief, j’en passe et peut-être même de meilleures.

J’avoue tout: c’est vrai, il faut avoir bien mauvais fond, alors que l’été nous invite aux festivals et aux visites muséales, pour briser l’unanimisme touchant qui a entouré voici quelques semaines l’inauguration par François Hollande du Musée Soulages. D’autant que la presse a souligné ad nauseam qu’il était l’artiste français «le plus cher du monde», comme si l’argent était désormais le seul et unique critère du temps présent, nulle dimension de la vie humaine n’échappant plus à la logique impériale de lamarchandisation.

Ces œuvres conceptuelles laissent de marbre tous ceux qui aiment encore le sens et la beauté.

Face au rouleau compresseur des thuriféraires de l’art contemporain, grands banquiers, bobos ou capitaines d’industrie, face aux prix astronomiques qui en mettent plein la vue au bon peuple, je vous invite pourtant à réfléchir. D’abord en démontant la logique mercantile qui sous-tend désormais sans faille le commerce des œuvres, ensuite en ayant le courage de dire haut et fort que le roi est nu. Car, du courage, il en faut pour s’opposer aux cris d’orfraies que poussent les gardiens du temple moderniste dès qu’on heurte leurs convictions portées par l’infinie puissance du marché redoublée par les subsides de l’État culturel. Il n’en faut que davantage affirmer son droit absolu à dire haut et fort que ces œuvres conceptuelles laissent de marbre tous ceux qui aiment encore le sens et la beauté.

Elles valent peut-être des millions sur les places financières, tant mieux pour les artistes, mais, comme dit l’adage, «à chacun son goût». Si d’autres en raffolent, c’est leur droit, comme c’est le mien d’argumenter mes choix.

Pas de malentendu: il ne s’agit nullement pour moi de rejeter en bloc tout l’art contemporain, ce qui serait absurde. Bien des artistes me touchent aujourd’hui encore, Richter ou Kieffer par exemple, et, du côté de la littérature, je considère que certains romans sont au niveau des plus grands du passé. J’ai déjà dit ici même mon admiration pour Garcia Marquez, Philip Roth, Kundera ou encore pour Emmanuel Carrère, dont le dernier livre, Le Royaume, est éblouissant d’intelligence et de finesse.

La vraie question est de savoir comment ce qui relevait de la plaisanterie a pu, dans l’océan d’inculture où baigne le monde actuel, se faire passer pour œuvre d’art